Le droit pénal à l’épreuve de la covid-19

Maître Avner DOUKHAN, avocat pénal à paris a été interviewé par le journal l’Express dans le cadre de l’affaire du Palais Vivienne et sur le droit pénal à l’épreuve de la covid-19.
La problématique étant de comprendre l’incidence de la covid-19 sur le droit pénal et notamment sur l’infraction de mise en danger de la vie d’autrui.
C’est un appartement au premier étage d’un immeuble de la rue Quentin-Bauchart, dans le huitième arrondissement de Paris, à deux pas des Champs-Elysées. Un salon à la moquette rouge, et puis une salle à manger. Accrochés au mur, d’innombrables cadres photos, dont des portraits de Johnny Hallyday, Coluche ou encore Thierry Le Luron. C’est aussi une immense demeure tout près des Grands Boulevards, le Palais Vivienne, au nom porteur de tant de symboles. Moulures au plafond, dorures aux portes. Depuis que Pierre-Jean Chalençon, propriétaire de cet ancien hôtel particulier, a lui-même lancé une telle rumeur auprès de journalistes de M6, les deux lieux se retrouvent accusés d’accueillir des « restaurants clandestins » où seraient venus dîner des ministres. « J’ai dîné cette semaine dans deux ou trois restaurants qui sont soi-disant des restaurants clandestins, avec un certain nombre de ministres », affirmait le collectionneur, dans un sujet diffusé le 2 avril, avant de se rétracter.
Sur les réseaux sociaux, les images des réjouissances se multiplient, parfois mal datées ou sans la moindre contextualisation. Pierre-Jean Chalençon plaide avec difficulté le « poisson d’avril ». Christophe Leroy, l’autre organisateur, se résout lui au silence. Ces réceptions ont bien existé, autour de quelques personnalités du show-business et du milieu de l’événementiel. Mais pas de ministres, à notre connaissance. Dans un cadre « raisonnable », nous certifie un habitué de ces agapes. Avant que les choses ne dérapent quelque peu. « Je n’y ai plus mis les pieds depuis un mois et demi car ça m’a écoeuré. (…) C’était devenu l’appât du gain. On était huit, mais en réalité il y en avait huit dans la pièce d’à côté. (…) Leroy s’est rendu compte qu’il y aurait peu de temps pour profiter donc il a vrillé, voilà », déclare Jean-François Desjacques, entrepreneur à l’international, autrefois dirigeant d’une société de BTP devenu photographe d’événements privés, au sujet des repas de la rue Quentin-Bauchart. C’est au sein de cet établissement que M6 a tourné en caméra cachée, la journaliste s’entendant répondre par un maître d’hôtel que « le soir, c’est les menus à partir de 160 euros ».

Club privé avec cuisine

Le restaurateur Christophe Leroy possède un CV bien fourni. A 57 ans, il a été tour à tour l’élève d’Alain Ducasse, le cuisiner de Johnny Hallyday, un chef apprécié des clients à Avoriaz, Marrakech ou Saint-Tropez. Plusieurs fois, ses affaires ont fermé, en liquidation judiciaire. Ses collaborateurs l’accusent d’indélicatesse financière. « Début 2020, Leroy sortait du trou, il cherchait un nouveau plan pour se refaire », raconte un de ses ex-associés, avec qui il est resté en contact. Le premier confinement lui donne l’idée d’un concept risqué : ouvrir un club privé avec cuisine. Début mai, l’entrepreneur annonce l’ouverture, à partir du lundi 11 mai, et même si les restaurants ne sont pas encore rouverts à cette date (ils le seront le 28 mai), du « Leroy’s Club », avec une « soirée de la liberté », autour du thème « rose et menu Provence ». Le repas, préparé dans une minuscule cuisine de l’appartement de la rue Quentin-Bauchart, et servi par l’épouse du restaurateur, s’élève à 39 euros. « Dix personnes max, hygiène et gestes barrières respectés », indique encore un prospectus diffusé sur Instagram. Très vite, les tarifs augmentent. Sur son site web, dans sa version datée du 3 avril dernier, le chef propose des menus compris entre 110 euros pour un menu « cocktail dégustation » et 580 euros pour un menu « caviar & caviar », voire 1480 euros pour un dîner « en amoureux », avec « accueil des convives par un tapis de roses et par des musiciens gypsy ».

Covid-19 et mise en danger de la vie d’autrui

Auprès de la journaliste de M6, le maître d’hôtel précise par ailleurs qu’il n’y a « pas de masque » au sein de l’établissement : « Une fois que vous passez la porte, il n’y plus de covid ». Si les rassemblements privés restent autorisés, bien que déconseillés, cet élément pourrait constituer une mise en danger de la vie des salariés de ce club-restaurant occulte. « Si les restaurants sont fermés, c’est qu’il y a eu une raison. Un patron qui met ses salariés en situation de travailler sans masque est fautif », estime Eric Rocheblave, avocat spécialisé en droit du travail. Sur le délit de mise en danger de la vie des convives, venus de leur plein gré, le pénaliste Avner Doukhan s’interroge : « C’est une infraction d’interprétation stricte donc l’appréciation du magistrat dépend beaucoup de la situation ». Ce délit est passible d’un an de prison et 15.000 euros d’amende. Dans les périodes de fermeture des restaurants, le chef risquerait en outre des sanctions de l’inspection du travail, dans la mesure où l’ouverture de son espace lui procure un avantage comparatif sur la concurrence, obligée de livrer à domicile ou de proposer une offre à emporter. Le droit pénal est mis à l’épreuve de la covid-19.
Les activités du « Leroy’s Club » se poursuivent tout au long de l’année, le lieu accueillant des personnalités comme Patrick Poivre d’Arvor, le footballeur à la retraite Fabrice Pancrate ou le paparazzi Daniel Angeli. « C’était une ambiance bon enfant, à six ou huit dans 250 mètres carrés, rien de cinglé du tout », décrit Jean-François Desjacques, souvent convié pour prendre des photos. Au fur et à mesure du temps, le staff de Christophe Leroy s’étoffe, passant jusqu’à trois à quatre serveurs. Le collectionneur Pierre-Jean Chalençon, connu du grand public depuis sa participation à l’émission Affaire conclue, sur France 2 est très régulièrement présent. A l’été, les deux hommes commencent à envisager un rapprochement professionnel, raconte un proche des deux hommes qui ne tient pas à être cité.

« Club de gastronomes »

C’est que depuis plusieurs années, le propriétaire du Palais Vivienne fait face à de nombreux frais et doit, pour conserver son bien, enregistrer quelques rentrées d’argent, comme il l’explique souvent devant les médias. Dans un entretien avec le youtubeur Sam Zirah, diffusé le 1er février dernier, il l’affirmait très explicitement et faisait le lien avec son compagnonnage avec Christophe Leroy : « Tout le monde m’a dit, « il faut que tu crées un club au Palais Vivienne ». Avec des gens de la société civile, des politiques, des écrivains, des journalistes, des amoureux de l’art (…) Ce club va être un club des gastronomes (…) Deux fois par mois, on recevra, avec mon ami Christophe Leroy, le chef de Johnny Hallyday, et d’autres chefs d’ailleurs, des gens pour déjeuner ou dîner (..) On peut se permettre de recevoir six, huit, dix personnes. Et puis, ça fait un peu de revenus ». Le nom de cette association informelle ? Le « Vivienne’s club ». A cette date, les restaurants sont fermés et un couvre-feu à 18h à Paris a été annoncé par Jean Castex, le 29 janvier. C’est au cours de cette interview que Pierre-Jean Chalençon évoquera sa proximité avec des membres du gouvernement Jean-Baptiste Lemoyne, Franck Riester, Roselyne Bachelot et un supposé prochain dîner avec Gabriel Attal, aussitôt démenti par le porte-parole du gouvernement.

Le droit pénal est à l’épreuve de la covid-19

Pierre-Jean Chalençon et Christophe Leroy ont d’abord projeté d’organiser ensemble deux événements au Palais Vivienne, les samedi 26 et dimanche 27 septembre. D’abord un « dîner Napoléon », avec entrée-plat-dessert à 119 euros, et puis le lendemain, un « brunch new impérial » à 79 euros. « C’est le début d’une grande aventure », commente Pierre-Jean Chalençon sur Instagram, le 22 juillet. Les deux dates ont finalement été annulées, selon notre source, mais le collectionneur n’a pas abandonné l’idée. Un participant occasionnel au « Leroy’s Club » nous raconte l’avoir entendu affirmer, lors d’un dîner rue Quentin-Bauchart début décembre, vouloir lancer, à une date indéterminée, des dîners thématiques au Palais Vivienne, à destination de touristes et d’entrepreneurs étrangers. Telle est justement la spécialité de Michel Soyer, chef d’entreprise dans l’événementiel, qui gravite alors autour du duo Leroy-Chalençon.

« Metteur en fête »

L’homme, qui aime à se présenter comme un « metteur en fête », organise d’ordinaire des soirées mondaines à Paris, au nom de Marquise Invest, la société qu’il a co-fondée avec William Perkins, communicant et par ailleurs époux de la philosophe Cynthia Fleury, lui-même intervenu pour une conférence au Leroy’s Club, le 29 octobre dernier (juste avant le deuxième confinement). Michel Soyer est aussi le président de l’association Go East Business Club (GEBC), qui anime des soirées à destination de dirigeants venus de Russie ou d’Asie. Entre le 22 decembre et le 1er janvier, cette structure propose pas moins de cinq événements au « Leroy’s Club », pour des tarifs compris entre 110 et 160 euros. Les restrictions sanitaires intervenues le 29 janvier dernier n’ont pas trop freiné ce fêtard dans ses activités. C’est lui qui organise, le 12 février dernier, une réception au Palais Vivienne, pour la galeriste Sylvana Lorenz, et une vingtaine de ses amis. Selon un message diffusé par cette dernière sur Twitter, Christophe Leroy est lui aussi mis à contribution pour une « mise en bouche ». Le GEBC organise encore trois événements dans l’antre du restaurateur entre le 13 février et le 26 mars, pour des conférences-déjeuner au prix compris entre 120 et 190 euros. On croise également Michel Soyer et Pierre-Jean Chalençon sur la moquette rouge du Leroy’s Club, le 25 février dernier, en compagnie d’une douzaine de personnes, selon un cliché diffusé sur Instagram.
En plus de certains événements relayés sur les réseaux sociaux et susceptibles de relever de la sphère exclusivement privée, ces trois compères se sont professionnellement associés à plusieurs reprises. Sur son compte Instagram, Christophe Leroy indique, dans un message aujourd’hui effacé, que le « Leroy’s business club sera heureux de vous accueillir au Palais Vivienne à partir du 11 mars 2021 ». Le site du Go East Business Club relate longuement un déjeuner intervenu ce même 11 mars chez Pierre-Jean Chalençon, en compagnie d’une quinzaine de personnes. Le menu du déjeuner du jour porte la mention du Leroy’s Club. « Cette fois-ci, nous étions conviés à contempler les trésors décorant Palais Vivienne, le plus beau lieu privé de la capitale (…) Le déjeuner préparé par Christophe Leroy sublime indéniablement cette expérience », est-il écrit en présentation. Sur son site, le chef confirme d’ailleurs organiser des repas dans la propriété du collectionneur : « Le Leroy’s Club vous propose un nouveau cadre d’exception pour vos rencontres d’affaires. Au coeur même de la capitale, le Palais de Pierre-Jean Chalençon saura vous replacer dans l’ambiance napoléonienne du XVIIIème siècle (sic). Cet ancien hôtel particulier rempli de charme vous offre les portes de trois salons différents, à privatiser au gré de vos envies (..) Le Leroy’s Club vous propose de déjeuner dans du mobilier d’époque ». Le prix des menus oscille de 290 à 980 euros. Quelques douceurs sucrées et salées sont aussi proposées, dans la rubrique « salon de thé ». Une privatisation de 24 heures pour 50 à 150 personnes est également proposée, pour un montant de 5 000 à 10 000 euros. Ce qui ne manque pas d’étonner, au vu du contexte sanitaire, même si rien n’indique que de tels contrats ont été effectivement passés.

Oeuf mimosa au caviar

Le 1er avril, Michel Soyer annonce, sous la double casquette de Marquise Invest et du Go East Business Club, l’organisation d’une « conférence Napoléon 1er de Pierre-Jean Chalençon », au « Palais Vivienne’s Club », à 17h30. « Nombre de participants limité et gestes sanitaires », précise-t-il sur Facebook. Christophe Leroy signale, lui, sur Instagram l’organisation d’un « dîner soirée » à partir de 17h45, « autour d’un menu caviar et champagne ». Sur un autre prospectus, il précise que le coût de ce dîner est de 220 euros par personne. Pour ce prix, les convives peuvent savourer une « coupe de champagne Cattier blanc de blancs », un « oeuf mimosa au caviar », un « loup vapeur salé au caviar » ou encore des « tartines de fromages perles de concombre et caviar ».
Sur BFMTV, ce mardi matin, Pierre-Jean Chalençon a expliqué qu’il y avait seulement « neuf personnes » chez lui. Sur C8, ce mardi soir, Pierre-Jean Chalençon, a livré une version différente : « Il y a dû y avoir une quinzaine, une vingtaine de personnes au maximum (…) C’était pas une soirée, c’était une présentation pour le retour de Napoléon au Palais Vivienne (…) Cela fait quinze mois que je ne peux organiser quoi que ce soit au Palais Vivienne (…) Moi j’ai fait payer personne (..) J’ai fait deux présentations, une en mars et une vendredi, il y avait un peu plus du monde, pour faire venir des chefs d’entreprise ». Interrogé sur les tarifs annoncés par son associé, il a refusé de répondre : « Je ne répondrai pas à ces questions, cela ne me regarde pas, je ne suis pas Christophe Leroy ». Selon des images diffusées sur Instagram, le magicien Vincent Schroepff était présent, ainsi que l’acteur Raphaël Mezrahi. Sur Twitter, celui-ci a indiqué être passé furtivement, sans dîner, en « voisin ».
Contacté, William Perkins, co-fondateur de Marquise Invest, nous a renvoyés vers ses partenaires : « Je vous propose d’appeler les organisateurs (Christophe Leroy et Pierre-Jean Chalençon), notre société n’intervient qu’en fournisseur et je n’ai pas voix au chapitre pour ces questions ». Pierre-Jean Chalençon, Christophe Leroy et Michel Soyer n’ont pas répondu à nos sollicitations.
Le cabinet de Maître Avner DOUKHAN se tient à votre disposition pour tout renseignement : Contact
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