Covid-19 Vs état de droit : mise en danger de la vie d’autrui
Maître Avner DOUKHAN, avocat pénaliste a été interviewé au sujet des répercussions de la crise sanitaire de la Covid-19 sur la mise en danger d’autrui et la covid-19 par le journal 20 minutes.
Le journal 20 Minutes s’interroge sur les risques pénaux encourrus par les organisateurs de fêtes clandestines ainsi que sur l’état de droit et nos libertés fondamentales.
Ce lundi, une enquête a également été ouverte par le parquet de Paris pour «mise en danger de la vie d’autrui», après une fête improvisée, dans le parc des Buttes Chaumont à Paris et à laquelle plusieurs dizaines de personnes ont participé dimanche sans respecter les gestes barrières. Alors en temps de coronavirus, qu’elles soient organisées, spontanées, sauvages ou privées, les fêtes peuvent-elles vous mener en prison ?
Que signifie juridiquement «mise en danger de la vie d’autrui»?
« C’est une infraction extrêmement technique et si particulière que dans de nombreux cas, elle ne peut être appliquée », souligne Avner Doukhan, avocat pénaliste au barreau de Paris. Comme le précise l’article 223-1 du Code pénal , la mise en danger d’autrui suppose la réunion de trois conditions pour être constituée.
La première, c’est l’existence d’une obligation particulière de sécurité et de prudence imposée par la loi ou le règlement. « C’est-à-dire qu’il faut qu’il existe une loi ou un décret qui dise que l’acte est interdit et que donc en le faisant, on viole une règle. Cette interdiction doit être très précise », explique l’avocat pénaliste. Ensuite évidemment c’est le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures. Et enfin, il faut qu’il y ait une violation délibérée de l’obligation particulière de prudence.
Faire la fête peut-il être considéré comme un danger de mort ?
« Cette infraction est difficilement applicable dans le cadre d’organisation de fêtes privées, comme de fêtes sauvages publiques », concède Maître Avner Doukhan, avocat pénaliste, qui se dit même un peu étonné qu’elle ait été retenue par le tribunal de Lyon. Si la condition numéro deux est bien remplie puisque l’article 3 du décret du 25 mars interdit les réunions à plus de six personnes sur la voie publique ou dans les établissements recevant du public, le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures est beaucoup moins évident.
« Dans le cadre de la loi, il faut qu’il y ait un lien de causalité certain entre le fait d’organiser une fête et le risque pour les participants et que ce risque soit immédiat », indique l’avocat pénaliste. Un critère compliqué à prouver sachant qu’il n’existe pas encore d’informations précises et avérées sur la période de contamination du virus.
« Difficile également de dire qu’il y a un risque réel dans le cadre des fêtes à Lyon et aux Buttes Chaumont où on l’a vu, les participants étaient relativement jeunes, poursuit Maître Avner Doukhan. Or le gouvernement nous dit aujourd’hui que les personnes de moins de 55 ans ne sont pas prioritaires pour les vaccinations car ce ne sont pas des populations dites à risque. Sur la question de la mise en danger d’autrui et la covid-19, il y a donc deux poids deux mesures. »
Quid des fêtes privées et de la mise en danger d’autrui ?
Pour ces 29 ans, Marie a organisé une petite sauterie dans son appartement parisien. Trente-cinq personnes et des enceintes à fond. «La police est venue à 23h30 la première fois et deux autres fois ensuite. La fête s’est terminée à 7 heures», indique la jeune femme qui n’a pas ouvert aux forces de l’ordre. «Mes voisins ont déposé une main courante et la police a ouvert une enquête pour mise en danger d’autrui et agression sonore. Finalement, elle a classé l’affaire sans suite parce qu’ils ont estimé que l’infraction n’était pas assez caractérisée.»
«Il est extrêmement important de rappeler qu’aujourd’hui sauf erreur de ma part, il n’existe pas d’interdiction claire et précise de se réunir dans un lieu privé à plus de six convives, expose Avner Doukhan, avocat pénal. Il faut donc nécessairement distinguer les fêtes organisées dans une sphère privée de celles organisées dans un lieu public, ou recevant du public. Ainsi, réprimer sous le prisme de la mise en danger d’autrui, l’organisateur d’une fête dans un lieu privé me semble délicat.»
Alors pourquoi une telle sévérité dans les décisions prononcées ?
« Le droit pénal est un droit d’application très strict, mais les décisions finales sont à l’appréciation des juges », explique l’avocat afin de justifier la condamnation retenue pour les deux frères lyonnais. Du cas par cas avec à la clé une sanction qui pourra dépendre de l’ampleur de l’événement, de son genre, du fait qu’il soit payant ou non, de son organisation plus ou moins professionnelle, mais aussi de la personnalité judiciaire de l’organisateur, à savoir son parcours et son casier judiciaire.
Rappelons également que les réunions à plus de 6 personnes sur la voie publique ou dans les établissements recevant du public sont punies d’une amende de 135 euros pour chacun des participants. Même sanction si ces derniers ne portent pas de masque. Et les amendes sont cumulables. En revanche, l’article ne s’applique pas aux fêtes privées. « C’est plutôt la violation du couvre-feu qui sera retenu, avec aussi 135 euros d’amende pour chacun des participants. Le problème c’est que pour cela il faut que la police pénètre dans le domicile et constate la fête. Sauf qu’ils n’ont pas le droit de rentrer », commente l’avocat pénaliste au Barreau de Paris.
Si les peines de prison ferme ne semblent pas pour tout de suite pour les amis de la fête illégale, les classifications d’infractions semblent plus sévères ces derniers temps. Un constat sur lequel Maître Avner Doukhan, Avocat pénaliste, invite à rester vigilant : « Elargir le champ d’application des infractions c’est le risque de détériorer nos libertés. La crise sanitaire a déjà un réel impact sur l’état de droit. »
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